Nous avons tous entendu dire que le sens de rotation d'un tourbillon dans un lavabo qui se vide est différent selon
que l'on observe ce phénomène dans l'hémisphère Nord ou Sud. Mais observer réellement ce phénomène
est autrement plus difficile que se contenter de répéter cette histoire...
A l'échelle d'un lavabo, l'effet de la rotation de la
Terre se mesure en microns par seconde, et aura toutes les chances d'être masqué par un quelconque mouvement initial
de l'eau. Observer sans tricher ce phénomène bien réel reste néanmoins possible, à condition
de disposer d'une expérience extrêmement bien contrôlée.
Les expériences de mécanique des fluides montrant une influence de la rotation de la Terre ne sont pas courantes. On
peut qualifier de telles expériences d'analogues fluides du célèbre pendule de Foucault. L'expérience réalisée récemment
au Laboratoire FAST à Orsay est conceptuellement la version la plus simple d'un tel pendule de Foucault fluide.
Une sphère en verre d'environ 20 cm de diamètre, remplie d'eau, est mise en rotation à une vitesse angulaire constante
de quelques tours par minute sur la plateforme "
Gyroflow".
Un système de Vélocimétrie par Images de Particules (PIV), embarqué dans
le référentiel tournant, permet alors de mesurer les champs de vitesse du fluide.
Après un régime transitoire de mise en rotation (de l'ordre d'une dizaine de minutes),
on s'attend naturellement à ce que l'eau tourne exactement à la vitesse de la sphère. Mais surprise: même après
plusieurs heures, l'eau refuse de tourner à la bonne vitesse! On détecte dans le référentiel tournant la présence d'un
écoulement secondaire très faible, de l'ordre de quelques dizaines de microns par seconde (fig. 1). Il s'agit en fait
d'un tourbillon d'axe horizontal, fixe dans le référentiel du laboratoire (approximativement orienté selon une ligne
Est-Ouest), qui se superpose à l'écoulement de rotation principal imposé par la sphère.
Cet écoulement secondaire a pour origine la rotation de la Terre. En effet celle-ci, en imprimant un lent
mouvement de précession à l'axe de rotation de la sphère (fig. 2), induit un couple gyroscopique qui défléchit légèrement
la trajectoire circulaire du fluide. Ainsi, ce n'est pas directement la vitesse de la Terre qui est détectée, mais
un écoulement secondaire résultant de l'équilibre entre ce couple gyroscopique et la friction visqueuse avec la paroi
de la sphère. Au final, le fluide tourne autour d'un axe légèrement incliné par rapport à l'axe de rotation de la
sphère, d'un angle de l'ordre de 0.1 degré. Une telle différence aurait évidemment été trop faible pour être mesurée
directement depuis le référentiel du laboratoire. Mais depuis le référentiel tournant où sont réalisées les mesures,
la rotation principale se trouve naturellement soustraite, et l'on devient sensible à cette petite différence sous forme d'un tourbillon horizontal
résiduel d'axe fixe dans le laboratoire.
De façon remarquable, de tels écoulements induits par précession sont omniprésents dans les étoiles et dans le noyau
liquide des planètes. Par exemple, l'axe de rotation de la Terre, incliné de 23 degrés par rapport au plan de
l'écliptique, effectue lui-même un mouvement de précession autour d'un axe fixe avec une période d'environ 26 000 ans
(précession des équinoxes). Il en résulte un écoulement secondaire dans le noyau liquide, analogue à celui observé dans
notre expérience. L'influence de tels mécanismes dans la dynamique du noyau, ainsi que dans la génération par effet dynamo
du champ magnétique Terrestre, fait l'objet aujourd'hui d'importants débats. Ainsi, cette simple expérience fournit
un modèle réduit saisissant des écoulements complexes présents en géophysique et en astrophysique.